La chartreuse de Bosserville
Aspect historique
Carte des Naudin
L'étang des morts de Bosserville
La Gravure de la Chartreuse au milieu du 18ème siècled
e Nicole
Plan de la Chartreuse de Nancy à zoomer (Chartreuse de Bosserville)
Chartreuse fondée par la Maison de Lorraine en 1632 /
Plan levé et dessiné gravé par Nicole à Nancy
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Chartreuse de Bosserville- Plan de Nicole de 1752
Agrandissement de la légende de la planche
Sur cette gravure du milieu du 18ème siècle:
On connait trois états de cette grande et belle planche. Le premier est décrit ci-après. Le deuxième (gravure représentée ci-dessus) n'en diffère que par l'inscription en grandes capitales MANUFACTURE DE BOSSERVILLE, gravée dans le milieu du haut.
Dans le troisième état on a effacé l'inscription du deuxième et, d'une main inhabile, essayé de rétablir sur la partie qu'elle occupait les champs qui figurent au dernier plan, entre le clos de la Chartreuse et les bois de ce monastère.
"Grande pièce en largeur, représentant en relief la chartreuse de Bosserville, telle qu'elle était au milieu du 18ème siècle, avec ses dépendances au dedans et en dehors de l'enclos de ce monastère. En face de la porte principale et sur une terrasse à laquelle un double escalier donne accès, s'élève l'église, ornée d'un beau portail d'ordre ionique, et surmontée aux trois quarts de sa longueur d'un élégant campanile. Deux corps de logis, contigus l'un et l'autre à cette église et alignés sur sa façade, s'ouvrent aussi sur la terrasse, chacun avec une aile en retour. A droite et à gauche, deux autres bâtiments attenant, alignés de même, ayant aussi des ailes en retour. A cette ligne d'édifices se joignent par derrière d'autres constructions nombreuses, mais. moins importantes, laissant entre elles des carrés vides dont le plus grand est le jardin de la pharmacie. Là se trouvent le petit eloitre, adjacent à l'église suivant l'usage, et le chapitre. Enfin vient le grand cloitre formé par un grand nombre d'arcades qui entourent un vaste jardin planté d'arbres et décoré, comme l'est aussi la terrasse, de fontaines jaillissantes derrière sont les cellules des religieux, sept de chaque côté et huit au fond, avec le jardinet attaché à chacune d'elles.
Le clos de la Chartreuse renferme encore plusieurs bâtiments ruraux, isolés l'un de l'autre par des bassescours, et séparés des jardins qui sont au premier plan par une longue cour où, de proche en proche, tout vient aboutir. La porte principale, à côté de laquelle est la chapelle paroissiale de Bosserville, s'ouvre sur un chemin qui borde la rivière de Meurthe. Au dehors du clos, de part et d'autre et au fond, une tuilerie, un moulin, un verger, des vignes, des champs et la lisière d'un bois. Le titre, entouré d'ornements en rocaille, surmonté des armes de Lorraine qui ont pour supports deux aigles couronnés, se lit au haut de la gauche, et la table des renvois ou légende du plan, chiffrée de A à z z z, est au haut de la droite. Au-dessous du titre, plan levé et dessiné, gravé par Nicole à Nancy 1752.
Hauteur, 539 millimètres largeur, 743."
et élevée principalement sur le plan de Jean Betto.
La chapelle marque l'axe central
Les deux ailes latérales forment un léger retour, pour accentuer, avec une grande économie de moyens, un effet théâtral.
Le bel escalier monumental (photo banque populaire Alsace Champagne Lorraine)
Le sculpteur de la Vierge située en bas de l'escalier n'est pas identifié
(2) sur Melchior de la Vallée, son domaine de Sainte-Anne et son procès en sorcellerie, on pourra lire
Les religieux trouvent un nouveau lieu possible, Bosserville sur les bords de la Meurthe mais gardent leur résidence de Laxou qu’ils modifieront et amélioreront au fil du temps par construction d’une chapelle (1732). En 1791, tous ces biens seront vendus comme propriété nationale.
Les religieux acquièrent donc sur Bosserville la basse, moyenne et haute justice. Ils possèdent un moulin banal et les habitants du hameau ne peuvent faire moudre leur grain ailleurs que lorsque le défaut d'eau empêche les roues de tourner. Ils président le plaid banal et touchent un droit de mainmorte sur tous ceux qui acquièrent quelque bien par héritage. Ils rachèteront en 1684 les droits des dames de Bouxières sur Bosserville, c'est-à-dire la dîme et la collation de la cure. Ils sont désormais les maîtres au spirituel comme au temporel. La cure est supprimée et l'ancienne chapelle qui servait jadis d'église paroissiale reste sans emploi.
Dom Pierre d'Hoffelize, prieur de Sainte-Anne, et dom Evrard prennent possession de Bosserville le 6 février 1666, et les travaux du nouveau couvent commencent aussitôt. On vient de démolir les fortifications de Nancy, et les terrains voisins de la ville sont remplis de pierres de taille. On imagine de transporter les plus belles à Bosserville, et c'est avec les débris des remparts de Nancy que la chartreuse est élevée. D'autres matériaux sont récupérés des châteaux de Pont-Saint-Vincent et de Condé qu'on démolissait à ce moment. Le reste fut pris à la carrière de Viterne et à celle de Merviller, près de Baccarat. L'argent nécessaire est fourni en grande partie par le duc lui-même. La nouvelle demeure est placée sous l'invocation de l'Immaculée Conception.
Le plan de la chartreuse de Bosserville est analogue à celui de tous les édifices du même genre. Une église superbe au centre de beaux bâtiments, destinés aux hôtes, et derrière, le long d'un cloître qui forme un carré de 104 mètres de côté et qui compte, sur chaque face, vingt-huit arcades, de petites maisons complètement séparées les unes des autres et où chaque père vit isolé, partageant son temps entre la prière, la méditation et le travail manuel. La première pierre est posée par le duc Charles IV lui-même, le 3 juillet 1666, et une inscription sur un vitrail près de la porte d'entrée rappelle cette date. En 1670, les bâtiments sont assez avancés pour que les religieux puissent en prendre possession. On commence alors la construction de l'église, sur les plans de l’architecte italien, Giovanni Betto. Elle sort de terre quand, une seconde fois, les Français occupent Nancy. Mais si, par suite de cette nouvelle occupation, les travaux sont ralentis, ils ne sont jamais interrompus. Louis XIV protège l'ordre et laisse aux religieux les rentes assignées par le fondateur et ainsi, peu à peu, on put inaugurer les diverses chapelles. Mais l'église dans son ensemble ne sera consacrée qu'après le retour de Léopold, le 7 octobre 1712. La cérémonie est solennelle, célébrée en présence du duc Léopold et des membres de sa famille.
L'église de Bosserville est l'un des plus beaux monuments des environs de Nancy. Elle est construite sur une terrasse à laquelle on accède par un escalier monumental. La façade est de style classique, ordre ionique en bas, ordre corinthien à l'étage. Le grand sculpteur nancéien, César Bagard, et son fils Toussaint ont exécuté à la fin du 17ème siècle la grande figure de l'Immaculée Conception dans le fronton et les quatre statues qui décorent le portail, le prophète Elie, saint Jean-Baptiste, saint Paul et saint Bruno, le fondateur des Chartreux.
Les Mesny sculptent les ornements au mur et au plafond de l'église. Différents peintres de Nancy, Jean Poirot, Guyon, reçoivent commande de tableaux, Provençal peint dans le cloître un saint Bruno à genoux; mais toutes ces peintures sont détruites ou bien disparaissent sous la Révolution.
L'église et les bâtiments annexes, les cellules des moines et l'immense mur entourant la propriété sont à peu près terminés en 1731. Le travail avait ainsi duré soixante-cinq années, et si l'on songe à la masse de pierres qui a été remuée, aux guerres qui ont parfois arrêté les ouvriers, aux longues occupations étrangères, on ne s'étonnera pas qu'il ait fallu un laps de temps aussi long.
Bien qu'achevée seulement au 18ème siècle, la chartreuse de Bosserville est considérée comme l'oeuvre du règne de Charles IV. Il voulut y être enterré, et le sera. Quand il meure en 1676 loin de la Lorraine, un fidèle serviteur rapporte en secret son coeur à la chartreuse, alors que son corps est déposé chez les capucins de Coblence. En 1717 seulement, sous le règne de Léopold, ses restes sont transférés par bateau sur la Moselle et la Meurthe jusqu'à Bosserville. Charles IV laissait un fils qu'il affectionnait beaucoup, le prince de Vaudémont, Charles-Henri de Lorraine- Vaudémont, qui témoignera aux chartreux la même faveur. Il avait son logement au couvent. On l'enterre le 15 janvier 1723 dans l'église à côté de son père. Les cercueils de Charles IV et du prince de Vaudémont, ne furent pas respectés en 1793 (4); les restes mortels furent jetés dans le cimetière d'Art-sur-Meurthe; recueillis en 1826, ils reposent depuis sous la chapelle Ronde à Nancy.
Quoique la construction du couvent eût absorbé de grandes sommes, les chartreux s'enrichirent grâce aux produits de leurs domaines.
ECOLE FRANCAISE DU XVIIIe, HUILE SUR TOILE, REPRESENTANT CHARLES IV DE LORRAINE, FONDATEUR DE LA CHARTREUSE DE BOSSERVILLE, VOIT UN ANGE QUI LUI INDIQUE LA PLACE OU CONSTRUIRE LE DIT MONASTERE (INDICATIONS SUR LA TOILE), MENTION AU DOS PEINT PAR DE RUELLE LORRAINE - 87x94 cm
La chapelle marque l'axe central; son fronton porte une Vierge à l'Enfant en moyen-relief réalisée par CésarBagard. La chartreuse de Bosserville, à Art-sur-Meurthe, traduit la dévotion du duc Charles IV à la Vierge.
Les deux ailes latérales forment un léger retour, pour accentuer, avec une grande économie de moyens, un effet théâtral.
L'Immaculée Conception par César Bagard et l'intérieur de la chapelle,
photos du début 20ème siècle
La chapelle de style baroque a été construite entre 1685 et 1687 pour servir d'église paroissiale; elle est décorée de peintures murales à la fin du 17e et au début du 18e siècle. L'autel.
La salle du chapitre (photo Est Républicain)
Masqué par la façade,
le petit cloître servant de cimetière occupe le flanc sud de la chapelle.
Le cloître abrite des vitraux offerts par l'abbé Trouillet en 1877.
L'un d'eux représente le duc Charles IV fondateur de la chartreuse.
Le prince est représenté en homme de guerre portant l'armure et l'écharpe jaune. Son bras droit est négligemment posé sur son casque tandis que sa main droite effleure son sabre. On distingue clairement son col et ses manches décorées de dentelles. Surtout, il porte sur ses épaules le manteau ducal en signe de sa souveraineté. Contrairement aux usages, il est rouge et décoré d'un semis d'alérions blancs et de croix de Lorraine jaunes. (cf)
Les cellules des Chartreux
Au-delà, le grand cloître forme un vaste carré planté en verger, autour duquel sont disposées les maisons (ou ermitages) des Chartreux.
L'intérieur d'une cellule de Chartreux reconstituée (Est Républicain)
Les 24 pères ou frères encore présents à la Révolution (5) se dispersèrent en 1792. Certains moururent victimes des persécutions religieuses, d'autres furent déportés; En 1798, le domaine dut vendu à des négociants de Nancyet de Lunéville pour 3,3MF et une manufacture de coton fut installée, sans succès et en 1813 le site, loué par l'Etat, est transformé en ambulance.
En 1834, les propriétaires ont l'intention de détruire les bâtiments. Guerrier de Dumast s'oppose par tous les moyens à cette destruction et les Chartreux de la Grande-Chartreuse rachètent le site pour 200000F. Des souscriptions permettent la réparation des bâtiments et l'achat d'oeuvres d'art.
En 1880 la chartreuse est encore embellie et le cloître proégé des intempéries, grâce à Monseigneur Trouillet. Les quelque 52 religieux restèrent en possession du domaine jusqu'en 1901. La loi sur les congrégations met fin à leur couvent et ils se dispersent à l'étranger. Leurs biens sont mis en vente le 7 Juillet 1905 à Nancy.
Entre 1907 et 1936, la Chartreuse accueillit le grand séminaire de Nancy.
Depuis 1962, elle héberge un lycée technique et professionnel, le lycée Saint-Michel. Issu de la Maison des Apprentis, à l’origine rue des Tiercelins dans le cœur historique de Nancy, il perpétue la tradition d’un enseignement tourné vers le concret et s’adapte sans cesse aux évolutions techniques.Aujourd’hui Bosserville accueille des jeunes de la 6ème à la Licence Professionnelle, car Bosserville est tout à la fois, un collège, un lycée professionnel, un lycée technologique, un centre de formation d’apprentis, mais également un centre de formation continue. Solidement inscrit dans le paysage Lorrain de l’enseignement privé catholique, il y demeure le plus important internat du Nord Est de la France.
(1) La Chartreuse: ce qu'en dit Lionnois
(2) Christian Pfister, sur la Chartreuse de Bosserville
(3) sur Melchior de la Vallée, son domaine de Sainte-Anne et son procès en sorcellerie, on pourra lire
(4) Sur les témoins des ossements contenus dans le caveau de l'église des Chartreux (23 décembre 1817)
(5) La Chartreuse pendant la Révolution
Jacquot ?
Anne Parisot Baille
Gaste
Giguet
Hilaire
François Chapuis
Jamar
Hallez
Emile Thiery 1828-1895
La Chartreuse de Bosserville par le graveur lorrain Roger Marage
Hottier
Jacquemin
Jamar
Lallevée
Linard
Martin
X
Gravures ci-dessus: [BOSSERVILLE] - COLLECTIF - La Chartreuse de Bosserville vue par des graveurs lorrains. Nancy, Berger-Levrault et Georges Leblanc, 1963 ; in-folio, 100 pages environ, broché sous couverture rempliée protégée d'un rhodoïd et dans l'emboîtage d'origine. Préface de Jacques Choux. Gravures de Chapuis, Gaste, Giguet, Hallez, Hilaire, Hottier V., Jacquemin, Jacquot, Jamar, Lalevée, Linard, Marage, Martin, Parisot-Baille, Vahl. Tirage limité à deux cents exemplaires. Très bel ouvrage sur Bosserville.
Ce livre réunit ce qui s'est fait de mieux comme graveurs lorrains des années 60.
La Chartreuse de Bosserville
Photographie : Jean Varcollier. Vers 1960. Archives municipales de Nancy, 431 Z.
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A BOSSERVILLE
Remember
Un soir
du
dernier mois d'octobre, je reçus cette lettre
« Je
lis
avec le plus grand plaisir et le plus vif intérêt
vos articles qui peignent si bien la beauté de notre cher pays lorrain.
Vous
chantez
les ruisseaux qui nous
apportent dans
leurs 'historiques souvenirs,
et
vous célébrez en termes émouvants les grandes mémoires de nos ducs et
celles
des femmes héroïques qui s'appellent Marguerite d'Anjou, Jeanne d'Arc
et Marie
Stuart. C'est l'idéal rêvé et
réalisé.
Vos
pages
sur la Chartreuse de Bosserville, le beau monument lorrain, sont
admirables et
très goûtées. Si vous retournez à
Bosserville, au sortir du pont stratégique de Laneuveville, vous voyez
devant
vous, sur la lisière du bois, une villa ou maison de robin. Vous vous
dirigez
de ce côté par un petit sentier qui domine le côté ouest de la
Chartreuse. Dans
le mur de clôture vous voyez s'ouvrir
une
grande porte, appelée «
la porte des
Morts. »
En
1813,
après la désastreuse campagne d'Allemagne, la Chartreuse servit
d'ambulance
pour recueillir les débris de l'armée.
Ces
malheureux mourant de faim et de misères, étaient, de plus, décimés par la peste.
Des femmes héroïques de Lorraine se sont dévouées, ct plusieurs sont
mortes
victimes de leur dévouement
En
continuant votre sentier, vous arrivez la
maison du robin, le chemin.
qui
passe devant vous conduit, à travers la
clairière du bois, dans un enfoncement.
A votre
gauche se trouve une fontaine, appelée Fontaine d'Amour; on l'a aveuglée, probablement
parce que l'amour est aveugle.
A votre
droite, se trouve ce qu'on appelle
l'Etang des Morts. C'est là que
reposent les héros
de Lutzen, de Bautzen et de Dresde. Combien sont-ils ? En très grand nombre, car les gens du pays
disaient
que ces pauvres soldats mouraient comme des mouches et qu'on emportait
leurs
cadavres sur des chariots, sur lesquels on les entassait
Ces
chars,
passant par la porte des Morts,
étaient
dirigés vers l'étang des Morts
Cet
étang,
alimenté par un petit ruisseau, servait de réservoir de poissons pour
les
Chartreux. On l'a desséché en le comblant de la façon que je viens de
vous
dire. Le ruisseau qui recevait le capital des eaux de la fontaine
coulait et
coule encore à ses heures, se jeter dans la Meurthe
après avoir traversé sous un pont la route de Tomblaine.
A votre
retour, par le même chemin, vous laissez à votre droite la Tuilerie de Bosserville ;
c'est dans les dédales de
ce labyrinthe que Dom Anthelme,
chartreux,
disait la messe pendant la Terreur. Il se cachait dans les bois et
venait de
temps en temps dans la cellule d'angle du mur nord-ouest. Pendant la
Révolution, cette cellule fut le foyer de la
religion pour tous les villages environnants.
J'ai
connu
des vieillards qui me disaient les
larmes aux yeux: "c'est là où
j'ai fait ma première
communion, où je me suis marié, etc. »
Après
avoir dépassé la
Tuilerie, vous allez droit devant vous, et vous franchissez un
ruisseau qui alimentait aussi, comme son voisin, un étang, réservoir de
poissons. Du reste, la digue l'indique assez.
Vous
suivez ce grand mur ouest et
nord, vous traversez
un coin du bois de la Brûlée puis, au
sortir, vous vous trouvez en face d'un de ces panoramas admirables que
vous
savez si bien décrire. Car, chez
vous, les
mots sont peintres. Vous descendez, prenez le chemin d'Art-sur-Meurthe vous y arrivez, après avoir traversé
les ruisseaux de Mon-Repentir et du pré de
la Saute. Tous deux viennent de la queue de l'Etang et alimentaient
encore des
réservoirs. Chez nous, les ruisseaux sont utilitaires.
· Je
vous
conduis ainsi à Art-sur-Meurthe, pour vous prier d'aller consulter les
registres de la commune Un
ancien maire me disait"je
m'amuse parfoisà lire les noms des soldats morts, de ceux dont on a pu
saisir l'état-civil.
Leurs
descendants ignorent sans doute le lieu de leur sépulture. Ces pauvres
oubliés
n'ont pour prières que le murmure du vent et des grands arbres de la
forêt. A
l'époque de la Toussaint et du centenaire de Napoléon, ce serait
peut-être le moment de
ressusciter ces patriotiques souvenirs.
Un vieux Lorrain
de 1840.
Hier,
par
une douce et mélancolique après-midi de novembre brumeux, j'ai fait ce
pieux
pèlerinage à l'Etang des Morts où ils gisent, plus d'un millier, les soldats
héroïques
de Lutzen et de Bautzen.
Du
soleil
pâle et mourant trainait sur les choses, mettant des tonalités de vieil
or sur
les feuilles rouillées de nos bois, éclairant les guérets, les sentiers
humides
et gras, et jusqu'aux grandes herbes desséchées, foulées
et froissées par les bêtes et
par les
gens.
Sous le
pont
stratégique de Laneuveville, la rivière coulait paisible, avec ses eaux
très
basses, cueillant çà et là, aux prochains entours, d'humbles ruisselets
venus
des boqueteaux semés au hasard des mamelons, entre Lenoncourt, Cercueil
et
Saulxures.
Et,
face au
pont, la maison du vieux robin me regardait, avec ses fenêtres closes,
son haut
toit d'ardoises, ses barreaux solides, placés là contre les malandrins
et les
braconniers.
A
droite, la
Chartreuse morte, abandonnée, vide, la Chartreuse devenue aussi un
tombeau fermé, et scellé, refuge actuel des oiseaux
nocturnes la Chartreuse de Charles IV qui dresse, au- dessus de la
rivière de la Meurthe, la masse
imposante de ses façades et
de ses bâtiments claustraux.
Et je
vis
aussi cette Porte des Morts où ils passèrent, par centaines et par
centaines, les pauvres soldats des ambulances de la
Chartreuse, où ils passèrent sur des
chariots de laboureurs, conduits en tas vers le sinistre étang où
on les jetait chaque jour, immense
charnier de mort au milieu du bois Robin. A la maison bien close, bâtie
jadis à l'orée de la forêt,
maison qui s'en va et qu'on n'habite plus, sauf, des fois,à des
ouvertures de chasse, ou bien encore à des
jours de repas champêtres un vieil homme m'attendait, un tout vieil
homme des
bois, chenu, ridé, cassé, un peu sourd d'oreille, mais ferme et solide
malgré ses quatre-vingts ans
tout proche.
C'était
le
père Bayard, garde-forestier de ces bois depuis 43 ans sonnés et,
qui en
sait,
allez, et qui reste le répertoire vivant le plus complet des traditions
de
Bosserville et des environs.
Pas un
sentier qui n'ait son histoire, pas un arbre qui n'ait sa fiche de
naissance et
de vie, pas un recoin de la forêt qui n'ait été exploré cent fois par
l'infatigable bûcheron, vrai type du paysan lorrain, robuste et madré,
ardent à
la besogne et amoureux passionné de la terre, de la nature et des bons
biens de
son maitre, M. Denis,
l'ingénieur.
Ce bois
Robin, il fut aux Chartreux d'avant la Révolution
vendu, dépecé et en partie défriché, il porte encore marques de
noblesse
originelle les bornes écussonnées de ses premiers possesseurs il garde
encore,
pareilles à d'immenses jetées, les trois digues ou levées de terre qui
retenaient, pour les moines ascètes, les eaux du rupt de Saulxures.
En
plein
bois, il y avait trois étangs, trois longs réservoirs à poissons, et trois digues les
séparaient
l'un de l'autre, percées en leur milieu pour l'écoulement du ruisseau.
Et ils
sont toujours là les trois étangs
poissonneux du bois Robin à Bosserville ils sont là,
avec leurs hautes levées, les
marches de
pierre conduisant à leur extrême fond. Ils sont là, mais les eaux ont
disparu,
aussi les poissons, et le ruisseau du bois, quand il coule, traverse
des
ronciers touffus et d'épaisses broussailles.
Et de
ces trois étangs, viviers des
Chartreux
disparus, le premier au bois se nomme l'Etang des Morts.
L'étang
des morts de
Bosserville
Ah
comme il était large et clair dans le creux du bois
KRobin, tout près de cette adorable
Fontaine d'Amour, aux escaliers tout usés,
à la coquille toute moussue, au bassin brisé et empli d'ignominies
par les gueux du temps présent, vandales et démolisseurs de tout !
Une
sente fleurie
encore visible y menait des portes de la Chartreuse, une sente qui
tournait à
travers bois et dans l'eau toujours limpide, se jouaient les poissons
du monastère entre les berges
hautes bordées de saules et de grands
arbres.
Un jour
vint
et les vannes furent levées si haut qu'on les put lever et dans le
trou béant, dans la vase du marécage, on
les jeta, dix, vingt, trente, jusqu'à soixante d'une
seule journée, les beaux et hardis soldats de France, les échappés
des
300.000 conscrits de 1813, revenus vainqueurs de
Lutzen et de Bautzen. La Chartrcuse de Bosserville était devenue
ambulance militaire.
La peste, le
typhus, la
dysenterie exerçaient leurs ravages et nos arrière grand'mères,
vaillantes femmes de Lorraine, prêtes à tous les sacrifices et tous les
dévouements, venaient là, de Nancy, de Saint Nicolas, d'Art-sur-Meurthe
et de Laneuveville, pour soigner ces malheureux, ces enfants de la
patrie pour
qui, hélas les jours de gloire avaient
fui.
Et de
sa voix
aigrelette, tel un vieux clairon fêlé, le
bon papa Bayard, qui eut son père convoyeur de ces morts sous le
commissaire délégué, un certain Marchal,
nous raconte lentement, en cheminant sous bois, l'odyssée
lamentable de ces pauvres soldats, revenus de si loin mourir en terre
de
France.
Ils
mouraient comme des mouches on les chargeait
dare dare sur la charrette fatale,; des fois môme,
des agonisants aux paupières presque closes étaient jetés parmi ces
cadavres,
et, pour leur dernière vision, ils pouvaient contempler l'étang vidé du
fond des bois lorrains.
A des
morts,
on arrachait les boucles d'oreilles (c'était un vieil usage de nos
pères), à
d'autres on coupait des pans d'étoffe l'un
d'eux fut un jour trainé, pantelant, à l'échelle de la voiture
mortuaire un
autre jour, dans une fosse à part, on mit l'un sur l'autre, le père, la
mère et quatre enfants, la cantinière
du régiment et sa famille.
Ils
mouraient, entassés plein les cloitres, les cellules, les chapelles,
les édicules de la Chartreuse et les archives
d'Art-sur-Meurthe ont gardé les noms de ces braves, les noms de ces
humbles
qu'un jour prochain nous inscrirons sur un cénotaphe de souvenir.
Et les
morts
allaient vite, très vite et les tranchées
se succédaient dans l'étang des Morts,
recouvertes d'une mince couche de terre grise, gardant pour peu
d'années
l'apparence de tombelles étranges au
milieu de la forêt verdoyante. L'oubli vint plus vite encore.
L'étang
vidé
resta desséché; les tumuli disparurent, nivelés, les graminées
poussèrent plus dru qu'ailleurs, les
ronces s'étendirent par tout l'étang, et en 1830, dans ce qui était et
ce qui
est toujours le Cimetière des Soldats de France, on
planta des arbres à des distances. La vie jaillit
superbe, de ces champs de la mort, et voilà bientôt un siècle qu'ils
sont là,
ces vaillants, à se muer en bonne terre lorraine, ossements blanchis
que nous
allons rendre à la lumière pour un jour.
Et nous
allons, le père Bayard et moi, à travers
ces ronces du fond de l'étang, parmi ces hautes herbes sèches, agrippés
par
en-dessous par ces épines déchirantes qui
ont poussé sur les morts de 1813.
Et,
dans la tombée du jour qui
vient vite en,
ce mois de novembre, il me semble
que les petites buées grises voltigeant, par les herbages
de la forêt, ce sont les âmes de ces
morts, que ces ronces qui nous empêchent d'avancer, vraies lianes
flexibles
et vivantes, ce sont les mains crispées
des trépassés réclamant de l'aidance, de
la lumière, de la pitié. De1a pitié ! L'oubli est venu, leur
tombeau
méconnu reste l'asile des renards et des sangliers
et pourtant ils méritaient mieux que ce lugubre abandon. Un vent se
lève; chargé
de pluie, un vent frais qui passe à travers les feuillées,
et les, secoue, et les abat sur le sol, par myriades de choses mortes.
Des
geais piaillent aux alentours, puis se taisent
et l'on n'entend plus rien que, la voix étrange des soirs d'automne en
nos forêts dépouillées.
La voix de la terre qui gémit, la voix des morts qui réclament
le souvenir des vivants. A peste, fame et
bello ! De la peste, de la famine et de la guerre, délivrez-nous,
mon Dieu
Et nous
quittons ces lieux déserts, en tirant le pâcha
par les sentiers glissants, songeant ces pauvres morts que le Souvenir
français veut enfin mettre en terre sainte sous un monument
patriotique, dressé sur le raidillon qui
regarde la vallée et Nancy.
La
maison du
vieux robin est là, à l'extrême lisière du
bois autour, voici des chênes séculaires et qui ont vu le passage des
charrettes fatales; autour encore, l’ancienne
Tuilerie des moines, les murs de la Chartreuse qui s'en vont à perte de
vue, et
les coiffures bizarres bonnets de cosaques en cette brume épaisse des
cellules vides de Bosserville.
Plus
loin,
c'est le bois de la Brûlée et puis le
mamelon qui nous sépare d'Art-sur-Meurthe où, peut-être,
naquit un jour Jacques d'Arc, le père de la Pucelle, et puis, déjà
voilées de
brouillards, les deux tours de Saint-Nicolas, fermant le défilé de la
vallée.
D'autre
côté, des lumières brillent, par milliers,
simples points étoilés, avec, en avant, les feux énormes des
hauts-fourneaux de Jarville..
On ne
voit
plus rien bientôt les chemins blancs ont disparu, la brume descend,
descend
toujours plus.
Et
je prends
congé du vieux solitaire, du gardien de
l'antique forêt, et je veux revenir encore. par ce sentier mystérieux
de l'Etang des Morts, goûter l’âpre sensation du silence, du
néant, du tombeau.
Il ne
fait pas
bien froid, et c'est au bois, par les brumes épaissies, une bien
étrange
chose que d'aller ainsi sur les herbages jaunis ou
sur les tapis de feuilles mortes, tombées tôt aux gelées blanches
d'après la
Toussaint.
Et je
songe
à ces soldats qui sont là, partis un jour de tous les points de la
France, 800.000 à l'appel du
grand sabreur, et qui avaient eu foi en l'avenir, en leur famille, en
leur pays.
Vainqueurs,
ils avaient traversé toute l'Europe, pénétré dans les capitales, joué
avec les
couronnes et les trônes.
Et
voilà, un souffle mystérieux avait passé sur
l'armée victorieuse lentement, le fléau avait fait le vide et, au lieu
des retours de gloire, des
triomphes entrevus et des lauriers promis, c'était la mort stupide aux
Marches
de Lorraine, aux portes mêmes de Nancy.
La
gloire, Ah si l'étang
pouvait parler, l'étang des Morts de Bosserville; en le chemin creux du
bois
Robin 1
Bosserville,
20 novembre
1906
Emile
Badel
Les étangs, les ruisseaux près de la Chartreuse, carte de Cassini (entre 1756 et 1789)
Carte d'Art- Meurthe des archives départementales / plan cadastral napoléonien /, sans date, vers 1830 donc peu après la campagne d'Allemagne 1813. La limite de la commune d'Art est bien indiquée.
Carte d'Etat Major vers 1831-1835
Image aérienne en 2022, Google Earth. La Chartreuse de Bosserville, le chemin des étangs des Morts près du château d'eau.